​"Fin du monde, fin du mois"
Elisa Amouret - 17 novembre 2021
Protéger l’environnement est-il compatible avec le pouvoir d’achat des Français ? C’est ce que nous cherchons à découvrir en accompagnant Sandra, une mère de famille, faire ses courses hebdomadaires.
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Sandra est maquilleuse professionnelle et son compagnon, David, est serveur dans un restaurant du sixième arrondissement. Avec l’équivalent de deux smic, le couple a vu son pouvoir d’achat sévèrement diminuer à cause de la crise sanitaire. « Avant on pouvait se permettre d’acheter des légumes locaux chez le primeur » mais tout a « affreusement augmenté » regrette Sandra. Sandra et David ont un petit garçon de quatre ans, et même s'ils sont inquiets par le réchauffement climatique, quand il s’agit de faire les courses, c’est le porte-monnaie qui fait la loi.
Armée de son cabas et de sa liste des courses, Sandra, les cheveux détachés, arpente machinalement les rayons du Lidl de la porte d’Orléans au Sud de Paris. Pâte, yaourt, poisson, fruits et légumes, elle se dirige d’un pas décidé dans ce dédale qu’elle connaît par cœur. A la caisse, il y a foule, les bips se mélangent aux bruits de plastique froissé. L’employée parvient à surmonter ce brouhaha pour énoncer clairement le montant “83 euros 93 s’il vous plaît, Vous avez la carte du magasin ?” Sandra, organisée, a déjà préparé sa carte de fidélité et sa carte bancaire.
En revenant des courses, dans son appartement à la frontière entre Montrouge et le XIVème arrondissement de Paris, Sandra range ses achats. Sur les 48 articles achetés, 79% d’entre eux ont des emballages non recyclables. Et pourtant, dans sa cuisine, Sandra montre fièrement ses grosses bonbonnes en verre, « on est prêts pour le zéro déchet » mais à Paris « il faut un budget de folie » s’exclame-t-elle. Debout dans la cuisine, elle nous tend le ticket de caisse, “je crois que vous aurez du mal à faire mieux”. Nous allons nous balader dans son quartier à la recherche d’alternatives favorisant le zéro-déchet et les produits locaux pour constituer le même panier.
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« Une autre démarche »
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A une quinzaine de minutes à pied de l’appartement de Sandra et David, nous poussons la porte d’Entre Pots. Un petit magasin dénué de superflu où tous les produits sont stockés dans des silos posés sur des étagères en bois. Intéressé par notre démarche, Jean Denis, son co-fondateur, prend son temps pour nous expliquer sa philosophie. Le vrac, “c’est une autre démarche” nous assure-t-il dans un large sourire. Les supermarchés, mastodontes de l’alimentaire, peuvent se permettre de négocier des prix extrêmement bas. Ici, les prix sont multipliés par trois, une augmentation qui se justifie selon lui par la qualité des produits et la juste rémunération des producteurs. Jean Denis nous confie qu’en quatre ans d’existence, son magasin reste invisible pour certains, « les classes populaires n’osent pas franchir le seuil de la porte”. Alors évidemment, il s’adapte à sa clientèle aisée prête à mettre le prix pour une alimentation de qualité respectueuse de l’environnement.
En sortant, notre sac de course est certes dénué d’emballages inutiles, mais il nous manque la moitié de nos courses. Impossible de trouver du fromage, de la viande et du poisson dans cette boutique. Nous avons donc allongé le chemin en quête de poissonneries, de boucheries et de fromageries pour compléter la liste.
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« Consommer mieux et manger moins »
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« Consommer mieux et manger moins » c’est le slogan de Gilles qui vient tout juste de reprendre la fromagerie Didot. « Ici, on va peut-être payer un peu plus cher mais au moins, ce fromage il a du goût » ! Un morceau d’emmental, du comté, des yaourt et de la mozzarella, notre budget crèmerie a doublé sans pour autant réduire les emballages. Même si on vient avec ses contenants, les morceaux de fromage doivent être emballés dans un papier plastifié concède Gilles « c’est une question d’hygiène ». Nous remontons la rue Didot, pour nous diriger vers la rue Daguerre. Chez le poissonnier on accepte les contenants des clients. Mais les clients zéro-déchet sont rares, «aujourd’hui, les gens nous demande quatre sacs en plastiques » se désole Jacques, employé de la poissonnerie. Nous repartons de la poissonnerie avec des filets de lieu et des sardines mais impossible de trouver une alternative au poisson pané dans un tel lieu ! Avant de rentrer chez Sandra, nous faisons un petit détour par la boucherie Daguerre pour acheter quelques tranches de jambon et des steaks hachés et par la boulangerie de la porte d’Orléans pour trouver du pain de mie.
Sur le chemin du retour, nous sortons la calculatrice. Certains produits industriels ont été impossible à remplacer parmi eux les chewing-gum, les pâtes fraîches fourrées, le poisson pané et les produits hors-saison. Nous les avons retirés de la liste pour pouvoir comparer nos deux paniers. A Lidl, Sandra a donc payé un total de 58,74€, dans les épiceries de quartier, nous avons déboursé 107,83€. Une différence de prix de plus de 80%. Un chiffre qui ne surprend pas Sandra qui nous dit en rigolant: « Vous comprenez pourquoi je vais faire les courses à Lidl maintenant ! ». Protéger l’environnement par son coup de fourchette n’est pas encore à la portée de tous les budgets parisiens.
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